Rue du viel Alambic

Cette nouvelle rue venant d’être créée dans notre commune, en raison de la présence autrefois de cet alambic à proximité, je pense qu’il est bon de rappeler ce qu’a été à l’époque la vie de cet alambic, avant que le souvenir tombe dans l’oubli, ce grand destructeur.

Dans la plupart des communes, autrefois, il existait un ou plusieurs alambics destinés à la production d’alcool, en distillant soit des marcs de raisin (résidus du pressage) soit des fruits fermentés. Ces alambics appartenaient soit à des particuliers (les bouilleurs de cru) ou à des sociétés (comme c’était le cas dans notre commune).

A Crissey, le vin était produit à partir du cépage de Noah, après la destruction du vignoble Français par un insecte, Phylloxéra vastatrix, introduit dans les années 1865 avec des plants de vigne Américains. Afin de remplacer les cépages de nos régions, on a fait appel à des plants Américains immunisés contre cet insecte. On avait le choix entre Noah, Othello, Jacquez, Clinton, Herbemont. Le Noah a été choisi dans notre région, s’étant révélé le mieux adapté à notre climat. On distinguait deux sortes : une à gros grains plus verts et une autre à grains jaunes plus petits mais meilleure. Le vin était excellent en cuisine, notamment pour faire du fromage de tête. Beaucoup de cultivateurs avaient leur carré de vigne, du plus petit au plus grand,(on comptait 19 parcelles plantées de vignes en 1860) ce qui provoquait la colère des gros producteurs du Midi, qui voyant d’un mauvais œil les paysans fabriquer leur vin, au lieu de l’acheter, l’ont fait interdire par la loi du 24 décembre 1934,, sous prétexte qu’il rendait fou. Ce qui n’a jamais été prouvé mais tout vin bu en excès peut conduire à l’alcoolisme. Le Noah est un vin bio, étant insensible aux maladies et aux parasites, il ne nécessite aucun traitement.
Les vendanges avaient lieu en octobre et la distillation commençait un mois et demi après et se poursuivait jusqu’en janvier. Comme les pressoirs de l’époque étaient moins puissants que les pressoirs actuels, et que ce raisin, par sa consistance, laissait beaucoup de matière et de jus après pressurage, il donnait après distillation une grande quantité d’alcool. On distillait également, en petite quantité les fruits fermentés des vergers Crissotins Le premier alambic dont nous avons connaissance dans notre commune, et dont nous avons la photo, a fonctionné dans les années 1900-1920 .La photo le représente devant le presbytère occupé par le Toine, le curé bien aimé, de son nom Jean Marie Alphonse Tartelin, qui repose au fond de notre cimetière. Sur la photo, de gauche à droite : un inconnu, Jean Renaud, le Toine et Jules Gauthier. L’inconnu tient dans la main un tisonnier pour activer le feu de la chaudière. L’alambic était du type à repasse, et appartenait à un Monsieur Louis Verpiot. La société de l’alambic, créée en 1933, a été un prolongement de la société coopérative de battage, créée elle-même en 1932. Le président était Monsieur Grangeon, agriculteur de Perrey, et les membres étaient ceux de la société de battage, ainsi que d’autres personnes de l’extérieur. L’alambic avait été commandé et fabriqué par Monsieur Marcel Léger, de Sassenay. Chaque membre (un membre par famille) possédait un privilège, numéroté de quatre chiffres, commençant par cinq, qui donnait droit légalement à 1000 degrés d’alcool, ce qui représentait 20 litres d’alcool à 50 degrés, tirés cependant à 52, en raison de la perte possible de degrés. Une taxe, peu élevée, était prélevée sur chaque litre. 20 litres d’alcool par famille laissent rêveur de nos jours, mais les familles étaient grandes : grands-parents, parents, enfants, commis de culture, et parfois d’autres personnes, qui, pour la plupart travaillaient de force, 12, 14 heures par jour, parfois plus, selon les saisons.

Fonctionnement :

Photo prise le dernier jour de fonctionnement, le 19 décembre 1994. A gauche, la chaudière fonctionnant au bois. A l’intérieur, au bas, on disposait d’abord une couche de paille, recouverte d’une grille à trous, et le marc de raisin avec de l’eau, le tout fermé par un bouchon étanche. Sur ce bouchon, un sac en jute qui recevait de l’eau en jet continu, de façon à obtenir un premier refroidissement. On aperçoit, au dessus, la lentille de réfrigération, à l’intérieur de laquelle passait la vapeur. Sortant de la lentille, le tuyau partait à droite dans le serpentin, entouré d’eau courante, pour le refroidissement final. Le premier alcool sortant coulait dans un seau, titrait 85 à 90 degrés, et était parfois consommé nature sur place par certains commis de ferme, ou travailleurs des bois ! Au fur et à mesure, le degré diminuait, et, suivant le degré du mélange final, on rajoutait de l’eau pour arriver à 52 degrés. La quantité produite chaque année tournait autour de 1200 litres minimum.

Et enfin, comme rien n’était perdu, le résidu de distillation servait d’engrais dans les jardins. Je remercie Monsieur Armand Jolivot pour son aimable collaboration, en tant qu’ancien trésorier.

Gabriel Michelin.

Octobre 2010.